Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/230

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n’avait point figuré dans mes concerts depuis son retour, en conséquence, il ne la connaissait pas et il l’entendit ce jour-là pour la première fois.

Le concert venait de finir, j’étais exténué, couvert de sueur et tout tremblant, quand, à la porte de l’orchestre, Paganini, suivi de son fils Achille, s’approcha de moi en gesticulant vivement. Par suite de la maladie du larynx dont il est mort, il avait alors déjà entièrement perdu la voix, et son fils seul, lorsqu’il ne se trouvait pas dans un lieu parfaitement silencieux, pouvait entendre ou plutôt deviner ses paroles. Il fit un signe à l’enfant qui, montant sur une chaise, approcha son oreille de la bouche de son père et l’écouta attentivement. Puis Achille redescendant et se tournant vers moi : «Mon père, dit-il, m’ordonne de vous assurer, monsieur, que de sa vie il n’a éprouvé dans un concert une impression pareille ; que votre musique l’a bouleversé et que s’il ne se retenait pas il se mettrait à vos genoux pour vous remercier.» À ces mots étranges, je fis un geste d’incrédulité et de confusion ; mais Paganini me saisissant le bras et râlant avec son reste de voix des oui ! oui ! m’entraîna sur le théâtre où se trouvaient encore beaucoup de mes musiciens, se mit à genoux et me baisa la main. Besoin n’est pas, je pense, de dire de quel étourdissement je fus pris ; je cite le fait, voilà tout.

En sortant, dans cet état d’incandescence, par un froid très-vif, je rencontrai M. Armand Bertin sur le boulevard ; je restai quelque temps à lui raconter la scène qui venait d’avoir lieu, le froid me saisit, je rentrai et me remis au lit plus malade qu’auparavant. Le lendemain j’étais seul dans ma chambre, quand j’y vis entrer le petit Achille. «Mon père sera bien fâché, me dit-il, d’apprendre que vous êtes encore malade, et s’il n’était pas lui-même si souffrant, il fût venu vous voir. Voilà une lettre qu’il m’a chargé de vous apporter.» Comme je faisais le geste de la décacheter, l’enfant m’arrêtant : «Il n’y a pas de réponse, mon père m’a dit que vous liriez cela quand vous seriez seul.» Et il sortit brusquement.

Je supposai qu’il s’agissait d’une lettre de félicitations et de compliments, je l’ouvris et je lus :

Mio caro amico,

Beethoven spento non c’era che Berlioz che potesse farlo rivivere ; ed io che ho gustato le vostre divine composizioni degne d’un genio qual siete, credo mio dovere di pregarvi a voler accettare, in segno del mio omaggio, venti mila franchi, i quali vi saranno rimessi dal signor baron de Rothschild dopo che gli avrete presentato l’acclusa. Credete mi sempre.

il vostro affezionatissimo amico,

Nicolo Paganini.

Parigi, 18 dicembre 1838.