Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/263

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le désir de rendre aussi heureux que possible les habitants de ses petits États, et l’amour de la musique. Concevez-vous une existence plus douce que la sienne ? Il voit tout le monde content autour de lui : ses sujets l’adorent ; la musique l’aime ; il la comprend en poëte et en musicien ; il compose de charmants lieder, dont deux : der Fischer knabe et Schiffers Abendied, m’ont réellement touché par l’expression de leur mélodie. Il les chante avec une voix de compositeur, mais avec une chaleur entraînante et des accents de l’âme et du cœur, il a, sinon un théâtre, au moins une chapelle (un orchestre) dirigée par un maître éminent, Techlisbeck, dont le Conservatoire de Paris a souvent exécuté avec honneur les symphonies, et qui lui fait entendre, sans luxe, mais montés avec soin, les chefs-d’œuvre les plus simples de la musique instrumentale. Tel est l’aimable prince dont l’invitation m’avait été si agréable et dont j’ai reçu l’accueil le plus cordial.

En arrivant à Hechingen, je renouvelai connaissance avec Techlisbeck. Je l’avais connu à Paris cinq ans auparavant ; il m’accabla chez lui de prévenances et de ces témoignages de véritable bonté qu’on n’oublie jamais. Il me mit bien vite au fait des forces musicales dont nous pouvions disposer. C’étaient huit violons en tout, dont trois très-faibles, trois altos, deux violoncelles, deux contre-basses. Le premier violon, nommé Stern, est un virtuose de talent. Le premier violoncelle (Oswald) mérite la même distinction. Le pasteur archiviste d’Hechingen joue la première contre-basse à la satisfaction des compositeurs les plus exigeants. La première flûte, le premier hautbois et la première clarinette sont excellents ; la première flûte a seulement quelquefois de ces velléités d’ornementation que j’ai reprochées à celle de Stuttgard. Les seconds instruments à vent sont suffisants. Les deux bassons et les deux cors laissent un peu à désirer. Quant aux trompettes, au trombone (il n’y en a qu’un) et au timbalier, ils laissent à désirer, toutes les fois qu’ils jouent, qu’on ne les ait pas priés de se taire. Ils ne savent rien.

Je vous vois rire, mon cher Girard, et prêt à me demander ce que j’ai pu faire exécuter avec un si petit orchestre ? Eh bien ! à force de patience et de bonne volonté, en arrangeant et modifiant certaines parties, en faisant cinq répétitions en trois jours, nous avons monté l’ouverture du Roi Lear, la Marche des pèlerins, le Bal de la Symphonie fantastique, et divers autres fragments proportionnés, par leur dimension, au cadre qui leur était destiné. Et tout a marché très-bien, avec précision et même avec verve.

J’avais écrit au crayon sur les parties d’alto les notes essentielles et laissées à découvert des 3e et 4e cors (puisque nous ne pouvions avoir que le 1er et le 2e) ; Techlisbeck jouait sur le piano la 1re harpe du Bal ; il avait bien voulu se charger aussi de l’alto solo dans la marche d’Harold. Le prince d’Hechingen se tenait à côté du timbalier pour lui compter ses pauses et le faire partir à temps ;