Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/274

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permis, à la rigueur, de changer le nom, tout gracieux qu’il soit, de la souveraine de Manheim. — D’ailleurs Shakespeare l’a dit :

What’s in a name ? that we call a rose By any other name would smell as sweet !

«Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose n’exhalerait pas, sous un autre nom, de moins doux parfums.»

En tous cas, je demande humblement pardon à Son Altesse, et, si elle me l’accorde, comme je l’espère, je me moquerai bien de vos moqueries.

En quittant Weimar, la ville musicale que je pouvais le plus aisément visiter était Leipzig. J’hésitais pourtant à m’y présenter, malgré la dictature dont y était investi Félix Mendelssohn et les relations amicales qui nous lièrent ensemble, à Rome, en 1831. Nous avons suivi dans l’art, depuis cette époque, deux lignes si divergentes, que je craignais, j’en conviens, de ne pas trouver en lui de bien vives sympathies. Chélard, qui le connaît, me fit rougir de mon doute, et je lui écrivis. Sa réponse ne se fit pas attendre ; la voici :

«Mon cher Berlioz, je vous remercie bien de cœur de votre bonne lettre et de ce que vous avez encore conservé le souvenir de notre amitié romaine ! Moi, je ne l’oublierai de ma vie, et je me réjouis de pouvoir vous le dire bientôt de vive voix. Tout ce que je puis faire pour rendre votre séjour à Leipzig heureux et agréable, je le ferai comme un plaisir et comme un devoir. Je crois pouvoir vous assurer que vous serez content de la ville, c’est-à-dire des musiciens et du public. Je n’ai pas voulu vous écrire sans avoir consulté plusieurs personnes qui connaissent Leipzig mieux que moi, et toutes m’ont confirmé dans l’opinion où je suis que vous y ferez un excellent concert. Les frais de l’orchestre, de la salle, des annonces, etc., sont de 110 écus : la recette peut s’élever de 6 à 800 écus. Vous devrez être ici et arrêter le programme, et tout ce qui est nécessaire au moins dix jours d’avance. En outre, les directeurs de la société des concerts d’abonnement me chargent de vous demander si vous voulez faire exécuter un de vos ouvrages dans le concert qui sera donné le 22 février au bénéfice des pauvres de la ville. J’espère que vous accepterez leur proposition après le concert que vous aurez donné vous-même. Je vous engage donc à venir ici aussitôt que vous pourrez quitter Weimar. Je me réjouis de pouvoir vous serrer la main et vous dire : Willkommen en Allemagne. Ne riez pas de mon méchant français comme vous faisiez à Rome, mais continuez d’être mon bon ami[1], comme vous l’étiez alors et comme je serai toujours votre dévoué.

»félix mendelssohn bartholdy.»

  1. (25 mai 1864.) Je viens de voir dans le volume des lettres de Félix Mendelssohn, publié récemment par son frère, en quoi consistait son amitié romaine pour moi. Il dit à sa mère en me désignant clairement : «*** est une vraie caricature, sans une étincelle de talent, etc. etc..... j’ai parfois des envies de le dévorer.» — Quand il écrivit cette lettre, Mendelssohn avait vingt et un ans, ne connaissait pas une partition de moi ; je n’avais encore produit que la première esquisse de ma Symphonie fantastique qu’il n’avait pas lue, et ce fut seulement peu de jours avant son départ de Rome que je lui montrai l’ouverture du Roi Lear que je venais de terminer.