Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/275

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Pouvais-je résister à une invitation conçue en pareils termes ?... Je partis donc pour Leipzig, non sans regretter Weimar et les nouveaux amis que j’y laissais.

Ma liaison avec Mendelssohn avait commencé à Rome d’une façon assez bizarre. À notre première entrevue, il me parla de ma cantate de Sardanapale, couronnée à l’Institut de Paris, et dont mon co-lauréat Montfort lui avait fait entendre quelques parties. Lui ayant manifesté moi-même une véritable aversion pour le premier allegro de cette cantate :

« — À la bonne heure, s’écria-t-il plein de joie, je vous fais mon compliment... sur votre goût ! J’avais peur que vous ne fussiez content de cet allegro ; franchement il est bien misérable !»

Nous faillîmes nous quereller le lendemain, parce que j’avais parlé avec enthousiasme de Gluck, et qu’il me répondit d’un ton railleur et surpris :

« — Ah ! vous aimez Gluck !»

Ce qui semblait vouloir dire : Comment un musicien tel que vous êtes, a-t-il assez d’élévation dans les idées, un assez vif sentiment de la grandeur du style et de la vérité d’expression, pour aimer Gluck ?» J’eus bientôt l’occasion de me venger de cette petite incartade. J’avais apporté de Paris l’air d’Asteria dans l’opéra italien de Telemaco ; morceau admirable, mais peu connu ! J’en plaçai sur le piano de Montfort un exemplaire manuscrit sans nom d’auteur, un jour où nous attendions la visite de Mendelssohn. Il vint. En apercevant cette musique qu’il prit pour un fragment de quelque opéra italien moderne, il se mit en devoir de l’exécuter, et, aux quatre dernières mesures, à ces mots : «O giorno ! o dolce sguardi ! o rimembranza ! o amor !» dont l’accent musical est vraiment sublime, comme il les parodiait d’une façon grotesque en contrefaisant Rubini, je l’arrêtai, et d’un air confondu d’étonnement :

« — Ah ! vous m’aimez pas Gluck, lui dis-je.

— Comment Gluck !

— Hélas ! oui, mon cher, ce morceau est de lui et non point de Bellini, ainsi que vous le pensiez. Vous voyez que je le connais mieux que vous, et que je suis de votre opinion... plus que vous-même !»

Un jour, je vins à parler du métronome et de son utilité.

« — Pourquoi faire le métronome ? se récria vivement Mendelssohn, c’est un instrument très-inutile. Un musicien qui, à l’aspect d’un morceau n’en devine pas tout d’abord le mouvement, est une ganache.»

J’aurais pu lui répondre qu’il y avait beaucoup de ganaches ; mais je me tus.