Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/313

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m’a frappé comme un coup de foudre, et j’ai été longtemps à me remettre de l’incroyable bouleversement qu’elle m’a causé. Le grand ensemble du Pré aux clercs, la dispute des femmes, les litanies de la vierge, la chanson des soldats huguenots présentaient à l’oreille un tissu musical d’une richesse étonnante, mais dont l’auditeur pouvait suivre facilement la trame sans que la pensée complexe de l’auteur lui restât voilée un seul instant. Cette merveille de contre-point dramatisé est aussi demeurée pour moi, jusqu’à présent, la merveille de l’exécution chorale. Meyerbeer, je le crois, ne peut espérer mieux en aucun lieu de l’Europe. Il faut ajouter que la mise en scène est disposée d’une façon éminemment ingénieuse. Dans la chanson du rataplan, les choristes miment une espèce de marche de tambours avec certains mouvements en avant et en arrière qui animent la scène et se lient bien d’ailleurs à l’effet musical.

La bande militaire, au lieu d’être placée, comme à Paris, au fond du théâtre, d’où, séparée de l’orchestre par la foule qui encombre la scène, elle ne peut voir les mouvements du maître de chapelle ni suivre conséquemment la mesure avec exactitude, commence à jouer dans les coulisses d’avant-scène à droite du public ; elle se met ensuite en marche et parcourt le théâtre en passant auprès de la rampe et traversant les groupes du chœur. De cette façon les musiciens se trouvent presque jusqu’à la fin du morceau, très-rapprochés du chef ; ils conservent rigoureusement le même mouvement que l’orchestre inférieur, et il n’y a jamais la moindre discordance rhythmique entre les deux masses.

Bœticher est un excellent Saint-Bris ; Zsische remplit avec talent le rôle de Marcel, sans posséder toutefois les qualités d’humour dramatique qui font de notre Levasseur un Marcel si originalement vrai. Mademoiselle Marx montre de la sensibilité et une certaine dignité modeste, qualités essentielles du caractère de Valentine. Il faut pourtant que je lui reproche deux ou trois monosyllabes parlés qu’elle a eu le tort d’emprunter à l’école de madame Devrient. J’ai vu cette dernière dans le même rôle quelques jours après, et si, en me prononçant ouvertement contre sa manière de le rendre, j’ai étonné et même choqué plusieurs personnes d’un excellent esprit qui, par habitude sans doute, admirent sans restriction la célèbre artiste, je dois ici dire pourquoi je diffère si fort de leur opinion. Je n’avais point de parti pris, point de prévention pour, ni contre madame Devrient. Je me souvenais seulement qu’elle me parut admirable à Paris, il y a bien des années dans le Fidelio de Beethoven, et que tout récemment, au contraire, à Dresde, j’avais remarqué en elle de fort mauvaises habitudes de chant et une action scénique souvent entachée d’exagération et d’afféterie. Ces défauts m’ont frappé d’autant plus vivement, ensuite dans les Huguenots, que les situations du drame sont plus saisissantes, et que la musique en est plus empreinte de grandeur et de vérité. Ainsi donc, j’ai sévèrement blâmé la cantatrice et l’actrice, et voici pourquoi : dans la scène de la conjuration où