Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/315

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façon, elle fait admirer le doux reflet de ses cheveux du côté droit. Je ne crois pas cependant que ces soins minutieux d’une coquetterie puérile soient précisément ceux qui doivent occuper l’âme de Valentine en un pareil moment.

Quant au chant de madame Devrient, je l’ai déjà dit, il manque souvent de justesse et de goût. Les points d’orgue et les changements nombreux qu’elle introduit maintenant dans ses rôles sont d’un mauvais style, et maladroitement amenés. Mais je ne connais rien de comparable à ses interjections parlées. Madame Devrient ne chante jamais les mots : Dieu ! ô mon Dieu ! oui ! non ! est-il vrai ! est-il possible ! etc. Tout cela est parlé et crié à pleine voix. Je ne saurais dire l’aversion que j’éprouve pour ce genre antimusical de déclamation. À mon sens, il est cent fois pis de parler l’opéra que de chanter la tragédie.

Les notes désignées dans certaines partitions par ces mots : Canto parlato, ne sont point destinées à être lancées de la sorte par les chanteurs ; dans le genre sérieux, le timbre de voix qu’elles exigent doit toujours se rattacher à la tonalité ; cela ne sort pas de la musique. Qui ne se souvient de la manière dont mademoiselle Falcon savait dire, en chant parlé, les mots de la fin de ce duo : «Raoul ! ils te tueront !» Certes, cela était à la fois naturel et musical, et produisait un effet immense.

Loin de là, quand répondant aux supplications de Raoul, madame Devrient parle et crie par trois fois avec un crescendo de force, nein ! nein ! nein ! je crois entendre madame Dorval ou mademoiselle Georges dans un mélodrame, et je me demande pourquoi l’orchestre continue de jouer, puisque l’opéra est fini. Ceci est d’un ridicule monstrueux. Je n’ai pas entendu le cinquième acte, furieux que j’étais d’avoir vu le chef-d’œuvre du quatrième défiguré de cette façon. Est-ce vous calomnier, mon cher Habeneck, d’affirmer que vous en eussiez fait autant ? J’ai peine à le croire. Je connais votre manière de sentir en musique : quand l’exécution d’un bel ouvrage est tout à fait mauvaise, vous en prenez bravement votre parti ; et même alors, plus c’est détestable et plus vous êtes courageux ! Mais qu’à une seule exception près tout marche à souhait au contraire, oh ! alors cette exception vous irrite, vous crispe, vous exaspère ; vous entrez dans une de ces rages indignées qui vous feraient voir de sang-froid, avec joie même, l’extermination de l’individu discordant, et pendant que les bourgeois s’étonnent de votre colère, les vrais artistes la partagent, et je grince avec vous de toutes mes dents.

Madame Devrient a certes des qualités éminentes : ce sont la chaleur, l’entraînement ; mais ces qualités fussent-elles suffisantes, ne m’ont pas d’ailleurs toujours semblé contenues dans les limites que leur assignent la nature et le caractère de certains rôles. Valentine, par exemple, même en mettant à part les observations que j’ai faites plus haut, Valentine la jeune mariée de la veille, le