Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/326

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première fois les Huguenots. Et puis j’avais voulu faire entendre à Berlin les grands morceaux du Requiem, ceux de la Prose (Dies iræ, Lacrymosa, etc.), que je n’avais pas encore pu aborder dans les autres villes d’Allemagne ; et vous savez quel attirail vocal et instrumental ils nécessitent. Heureusement j’avais prévenu Meyerbeer de mon intention, et déjà avant mon arrivée il s’était mis en quête des moyens d’exécution dont j’avais besoin. Quant aux quatre petits orchestres d’instruments de cuivre, il fut aisé de les trouver, on en aurait eu trente s’il l’eût fallu ; mais les timbales et les timbaliers donnèrent beaucoup de peine. Enfin, cet excellent Wiprecht aidant, on vint à bout de les réunir.

On nous plaça pour les premières répétitions dans une splendide salle de concert appartenant au second théâtre, dont la sonorité est telle malheureusement, qu’en y entrant je vis tout de suite ce que nous allions avoir à souffrir. Les sons, se prolongeant outre mesure, produisaient une insupportable confusion et rendaient les études de l’orchestre excessivement difficiles. Il y eut même un morceau (le scherzo de Roméo et Juliette) auquel nous fûmes obligés de renoncer, n’ayant pu parvenir, après une heure de travail, à en dire plus de la moitié. L’orchestre pourtant, je le répète, était on ne peut mieux composé. Mais le temps manquait, et nous dûmes remettre le scherzo au second concert. Je finis par m’accoutumer un peu au vacarme que nous faisions, et à démêler dans ce chaos de sons ce qui était bien ou mal rendu par les exécutants ; nous poursuivîmes donc nos études sans tenir compte de l’effet fort différent, heureusement, de celui que nous obtînmes ensuite dans la salle de l’Opéra. L’ouverture de Benvenuto, Harold, l’Invitation à la valse de Weber, et les morceaux du Requiem furent ainsi appris par l’orchestre seul, les chœurs travaillant à part dans un autre local. À la répétition particulière que j’avais demandée pour les quatre orchestres d’instruments de cuivre du Dies iræ et du Lacrymosa, j’observai pour la troisième fois un fait qui m’est resté inexplicable, et que voici :

Dans le milieu du Tuba mirum se trouve une sonnerie des quatre groupes de trombones sur les quatre notes de l’accord de sol majeur successivement. La mesure est très-large ; le premier groupe doit donner le sol sur le premier temps ; le second, le si sur le second ; le troisième, le ré sur le troisième et le quatrième, le sol octave sur le quatrième. Rien n’est plus facile à concevoir qu’une pareille succession, rien n’est plus facile à entonner aussi que chacune de ces notes. Eh bien ! quand ce Requiem fut exécuté pour la première fois dans l’église des Invalides à Paris, il fut impossible d’obtenir l’exécution de ce passage. Lorsque j’en fis ensuite entendre des fragments à l’Opéra, après avoir inutilement répété pendant un quart d’heure cette mesure unique, je fus obligé de l’abandonner ; il y avait toujours un ou deux groupes qui n’attaquaient pas ; c’était invariablement celui du si, ou celui du ré, ou tous les deux. En jetant les yeux, à