Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/354

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

terne ; un journal, quelques jours après, dit que les prêtres de ce Bacchus avaient sans doute bu de la bière et non du vin de Chypre.

Le chant des Industriels fut très-mal accueilli, surtout par les exécutants. Je m’étais engagé à faire la musique de ces paroles d’Adolphe Dumas ; mais il me fut impossible d’en venir à bout, et je dus consentir, pour que ses vers ne fussent pas perdus et lui prouver ma bonne volonté, à les laisser mettre en musique par le compositeur qu’il choisirait lui-même. Il désigna son beau-frère, Amédée Méreaux, professeur de piano à Rouen.

L’ouverture de la Vestale fut vivement applaudie, ainsi que le chœur sans accompagnement de la Muette. Quant au chant de Charles VI que les sollicitations de Schlesinger, éditeur de cet ouvrage d’Halévy, m’avaient fait introduire après coup dans le programme, il produisit un effet spécial. Il réveilla les stupides instincts d’opposition qui fermentent toujours dans le peuple de Paris ; et au refrain si connu :

«Guerre aux tyrans, jamais en France, Jamais l’Anglais ne régnera !»

les trois quarts de l’auditoire se mirent à chanter avec le chœur. Ce fut une protestation plébéienne et d’un nationalisme grotesque contre la politique suivie à cette époque par le roi Louis-Philippe, et qui sembla donner raison aux préventions de M. le préfet de police contre le festival. Ce ridicule incident eut des suites dont je parlerai tout à l’heure.

Enfin mon Exposition musicale eut lieu, non-seulement sans accident, mais encore avec un succès brillant et l’approbation de l’immense public qui y assistait. En sortant, j’eus la douce satisfaction de voir MM. les percepteurs du droit des hospices occupés à compter sur une vaste table le produit de ma recette. Elle s’élevait à trente-deux mille francs ; ils prirent le huitième de cette somme c’est-à-dire quatre mille francs. La recette du concert de musique de danse dirigé par mon associé Strauss, deux jours après, fut plus que médiocre ; pour couvrir les frais de cette dernière fête, qui n’eut aucun succès, il fallut prendre ce qui manquait sur le bénéfice du grand concert, et, en dernière analyse, après tant de peines essuyées, tant de dangers courus, un si grand labeur accompli, j’eus pour ma part un reçu de quatre mille francs de M. le percepteur du droit des hospices et un bénéfice net de huit cents francs...

Charmant pays de liberté, où les artistes sont serfs, reçois leurs bénédictions sincères et l’hommage de leur admiration, pour tes lois égales, nobles et libérales !

Nous avions à peine achevé, Strauss et moi, de payer nos musiciens, copistes,