Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/395

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d’opéras, mais que les mathématiciens, les hommes de lettres, les médecins, les graveurs, les peintres, les sculpteurs et les architectes forment encore une race dangereuse par son intelligence et par un détestable sentiment qui lui est propre : le respect de la science et de l’art. Aux yeux des partisans de ce principe, les meilleurs juges, les meilleurs directeurs de l’art musical, ceux qui doivent exercer la plus excellente influence sur son état présent et à venir, sont les hommes étrangers à toute science, à tout art, à tout sentiment du beau, à toute aspiration vers l’idéal, à toute œuvre, à toute pensée, qui n’ont jamais rien fait, qui ne savent rien, ne croient à rien, n’aiment rien, ne veulent ni ne peuvent rien, et qui réunissent à ces indispensables conditions d’ignorance, d’impuissance et d’indifférence, une certaine paresse d’esprit voisine de la stupidité. On voit que le nombre des gens intéressés à soutenir cette belle thèse est incalculable, et qu’il ne faut pas s’étonner de la quantité de prosélytes qu’ils font chaque jour. Je suis surpris seulement que leur triomphe ne soit pas plus complet, et qu’ils progressent si lentement dans la voie qui leur est ouverte. De là l’à-propos de mon observation sur les conservatoires livrés à cette heure exclusivement aux musiciens.

Il y a plus : celui de Prague, dont j’ai à parler spécialement ici, est dirigé par un compositeur de talent plein d’amour pour son art, actif, ardent, infatigable, sévère dans l’occasion, prodigue de louanges quand elles sont méritées,... et jeune. Tel est M. Kittl. On aurait pu aisément trouver quelque lourde médiocrité consacrée par les années, car il y en a en Bohême comme ailleurs, et lui confier la tâche de paralyser peu à peu le mouvement de la musique à Prague. Point du tout ; on a fait le contraire, on a pris M. Kittl, âgé de trente-cinq ans, et la musique vit à Prague, et elle se meut et elle grandit. Il faut évidemment qu’il y ait eu quelque vertige dans l’esprit des membres du comité qui a fait un pareil choix, ou que ce comité ait été composé exclusivement de gens de cœur et d’esprit.

Un conservatoire de musique, à mon sens, devrait être un établissement destiné à conserver la pratique de l’art musical dans toutes ses parties, les connaissances qui s’y rattachent, les œuvres monumentales qu’il a produites, et de plus, se plaçant à la tête du mouvement progressif inhérent à un art aussi jeune que la musique européenne, maintenir ce que le passé nous a légué de beau et de bon en marchant prudemment vers les conquêtes de l’avenir. Je ne crois pas céder à un mouvement de partialité nationale en déclarant que de tous les conservatoires qui me sont connus, celui de Paris est le moins éloigné de répondre à cette définition. Le Conservatoire de Prague[1] vient

  1. Je ne connais pas encore l’organisation intérieure du Conservatoire de Bruxelles, habilement dirigé par M. Fétis ; je sais seulement qu’il est un des plus considérables.