Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/437

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Une lettre de M. le comte de Rœdern m’était parvenue à Moscou cinq semaines auparavant, m’exprimant le désir du roi de Prusse de connaître ma légende de Faust, et m’engageant a m’arrêter à Berlin, à mon retour, pour la lui faire entendre. Le roi mettait à ma disposition le théâtre de l’Opéra et toutes ses ressources, en m’assurant la moitié de la recette brute. Je ne pouvais qu’être fort sensible a cette gracieuseté royale. Je restai donc à Berlin une dizaine de jours pour y organiser l’exécution de Faust. Elle fut admirable de la part de l’orchestre et des chœurs, mais très-faible sous d’autres rapports. Le ténor, chargé du rôle de Faust, et le soprano, écrasé par celui de Marguerite, me firent le plus grand tort. On siffla la ballade du roi de Thulé (applaudie partout ailleurs depuis lors), mais je ne pus savoir si ces manifestations s’adressaient à l’auteur ou à la cantatrice, ou à tous les deux ensemble. Cette dernière supposition est la plus vraisemblable. Le parterre était rempli de gens malveillants, indignes, m’a-t-on dit, qu’un Français eût eu l’insolence de mettre en musique une paraphrase du chef-d’œuvre national allemand, et de partisans du prince de Ratziville, lequel, avec l’aide d’un assez bon nombre de véritables compositeurs, a mis en musique les scènes de Faust destinées au chant. Je n’ai rien vu dans ma vie d’aussi burlesquement farouche que l’intolérance de certains idolâtres de la nationalité allemande... En outre, j’avais contre moi, cette fois-là, une partie de l’orchestre de l’Opéra, dont mes lettres sur Berlin, traduites en allemand par M. Gathy, et publiées à Hambourg, quelques années auparavant, m’avaient aliéné les bonnes grâces. Ces lettres, reproduites dans les présents mémoires, ne contiennent pourtant, on peut s’en convaincre, rien de blessant pour les instrumentistes de Berlin. Au contraire, je loue ceux-ci de toutes façons, en critiquant, avec beaucoup de réserve, dans leur orchestre, certains détails accessoires seulement. J’appelle cet orchestre MAGNIFIQUE, je le déclare doué de qualités éminentes, de précision, d’ensemble, de force et de délicatesse ; mais, et voilà mon crime, j’établis une comparaison entre certains virtuoses et ceux de Paris, et j’avoue (frémissez d’indignation !) que, quant aux flûtistes, les nôtres les surpassent. Or, ces simples mots avaient amassé dans le cœur de la première flûte de Berlin un trésor de rage ; et il était parvenu, autant que j’ai pu le comprendre, à faire partager sa fureur à beaucoup de ses confrères, en leur persuadant que j’avais dit mille infamies de l’orchestre de Berlin. Nouvelle preuve du danger que l’on court à écrire sur les musiciens, et à se trouver sous le vent de l’outre de leur amour-propre, quand on a eu le malheur de lui faire la moindre piqûre. En critiquant un chanteur, on ne s’expose guère à l’inimitié de ses émules ; ceux-ci généralement, trouvent, au contraire, que vous n’avez pas montré pour lui assez de sévérité ; mais le virtuose d’un corps musical en renom, prétend toujours qu’en le critiquant, lui, vous insultez, le corps entier auquel il appartient, et parvient quelquefois à faire croire cette sottise à