Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/477

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dans la statue de saint Charles Boromée à Como, et qu’on surprend fort en leur disant que le salon où ils viennent de s’asseoir est l’intérieur de la tête du saint.

Ceux de mes ouvrages qualifiés par les critiques de musique architecturale, sont : ma Symphonie funèbre et triomphale pour deux orchestres et chœur ; le Te Deum, dont le finale (Judex crederis) est sans aucun doute ce que j’ai produit de plus grandiose ; ma cantate à deux chœurs l’Impériale, exécutée aux concerts du Palais de l’Industrie en 1855, et surtout mon Requiem. Quant à celles de mes compositions conçues dans des proportions ordinaires, et pour lesquelles je n’ai eu recours à aucun moyen exceptionnel, ce sont précisément leur ardeur interne, leur expression et leur originalité rhythmique qui leur ont fait le plus de tort, à cause des qualités d’exécution qu’elles exigent. Pour les bien rendre, les exécutants, et leur directeur surtout, doivent sentir comme moi. Il faut une précision extrême unie à une verve irrésistible, une fougue réglée, une sensibilité rêveuse, une mélancolie pour ainsi dire maladive, sans lesquelles les principaux traits de mes figures sont altérés ou complètement effacés. Il m’est en conséquence excessivement douloureux d’entendre la plupart de mes compositions exécutées sous une direction autre que la mienne. Je faillis avoir un coup de sang en écoutant, à Prague, mon ouverture du Roi Lear dirigée par un maître de chapelle dont le talent est pourtant incontestable. C’était à peu près juste... mais ici l’à peu près est tout à fait faux. Vous verrez au chapitre sur Benvenuto Cellini, ce que les erreurs, même involontaires, d’Habeneck, pendant le long assassinat de cet opéra aux répétitions, m’ont fait souffrir.

Si vous me demandez maintenant quel est celui de mes morceaux que je préfère, je vous répondrai : Mon avis est celui de la plupart des artistes, je préfère l’adagio (la scène d’amour) de Roméo et Juliette. Un jour, à Hanovre, à la fin de ce morceau, je me sens tirer en arrière sans savoir par qui, je me retourne, c’étaient les musiciens voisins de mon pupitre qui baisaient les pans de mon habit. Mais je me garderais de faire entendre cet adagio dans certaines salles et à certains publics. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je pourrais vous rappeler encore, à propos des préventions françaises contre moi, l’histoire du chœur des bergers, de l’Enfance du Christ, exécuté dans deux concerts sous le nom de Pierre Ducré, maître de chapelle imaginaire du dix-huitième siècle. Que d’éloges pour cette simple mélodie ! Combien de gens ont dit : «Ce n’est pas Berlioz qui ferait une pareille chose !»

On chanta un soir dans un salon une romance sur le titre de laquelle était inscrit le nom de Schubert, devant un amateur pénétré d’une horreur religieuse pour ma musique. «À la bonne heure ! s’écria-t-il, voilà de la mélodie, voilà