Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/67

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lèse-génie ; oh ! non, c’est en face du public, à haute et intelligible voix, que j’apostrophais les délinquants. Et je puis assurer qu’il n’y a pas de critique qui porte coup comme celle-là. Ainsi, un jour, il s’agissait d’Iphigénie en Tauride, j’avais remarqué à la représentation précédente qu’on avait ajouté des cymbales au premier air de danse des Scythes en si mineur, où Gluck n’a employé que les instruments à cordes, et que dans le grand récitatif d’Oreste, au troisième acte, les parties de trombones, si admirablement motivées par la scène et écrites dans la partition, n’avaient pas été exécutées. J’avais résolu, si les mêmes fautes se reproduisaient, de les signaler. Lors donc que le ballet des Scythes fut commencé, j’attendis mes cymbales au passage, elles se firent entendre comme la première fois dans l’air que j’ai indiqué. Bouillant de colère, je me contins cependant jusqu’à la fin du morceau, et profitant aussitôt du court moment de silence qui le sépare du morceau suivant, je m’écriai de toute la force de ma voix :

«Il n’y a pas de cymbales là-dedans ; qui donc se permet de corriger Gluck[1] ?»

On juge de la rumeur ! Le public qui ne voit pas très-clair dans toutes ces questions d’art, et à qui il était fort indifférent qu’on changeât ou non l’instrumentation de l’auteur, ne concevait rien à la fureur de ce jeune fou du parterre. Mais ce fut bien pis quand, au troisième acte, la suppression des trombones du monologue d’Oreste, ayant eu lieu comme je le craignais, la même voix fit entendre ces mots : «Les trombones ne sont pas partis ! C’est insupportable !»

L’étonnement de l’orchestre et de la salle ne peut se comparer qu’à la colère (bien naturelle, je l’avoue) de Valentino qui dirigeait ce soir-là. J’ai su ensuite que ces malheureux trombones n’avaient fait que se soumettre à un ordre formel[2] de ne pas jouer dans cet endroit ; car les parties copiées étaient parfaitement conformes à la partition.

Pour les cymbales que Gluck a placées avec tant de bonheur dans le premier chœur des Scythes, je ne sais qui s’était avisé de les introduire également dans l’air de danse, dénaturant ainsi la couleur et troublant le silence sinistre de cet étrange ballet. Mais je sais bien qu’aux représentations suivantes, tout rentra dans l’ordre, les cymbales se turent, les trombones jouèrent, et je me contentai de grommeler entre mes dents : «Ah ! c’est bien heureux !»

Peu de temps après, de Pons, qui était au moins aussi enragé que moi, ayant trouvé inconvenant qu’on nous donnât, au premier acte d’Œdipe à Colonne,

  1. Il n’y a des cymbales que dans le chœur des Scythes : «Les dieux apaisent leur courroux.» Le ballet en question étant d’un tout autre caractère, est en conséquence, instrumenté différemment.
  2. Tant pis pour celui qui avait donne l’ordre.