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JOURNAL

votre petite leçon, je la connais par cœur. « L’esprit souffle où il veut, j’appartiens à l’âme de l’Église » — des blagues. Pourquoi se tenir debout, plutôt qu’assis ou couché ? Remarquez que l’explication physiologique ne tient pas. Impossible de justifier par des faits l’hypothèse d’une espèce de prédisposition physique. Les athlètes sont généralement des citoyens paisibles, conformistes en diable, et ils ne reconnaissent que l’effort qui paie — pas le nôtre. Évidemment, vous avez inventé le paradis. Mais je disais l’autre jour à Torcy : « Conviens donc que tu tiendrais le coup, avec ou sans paradis. D’ailleurs, entre nous, tout le monde y rentre dans votre paradis, hé ? Les ouvriers de la onzième heure, pas vrai ? Quand j’ai travaillé un coup de trop — je dis travaillé un coup de trop comme on dit boire un coup de trop — je me demande si nous ne sommes pas simplement des orgueilleux.

Il avait beau rire bruyamment, son rire faisait mal à entendre, et on aurait pu croire que son chien pensait comme moi : il avait interrompu tout à coup ses gambades et couché ventre contre terre, humblement, il levait vers son maître un regard calme, attentif, un regard qu’on eût dit détaché de tout, même de l’obscur espoir de comprendre une peine qui retentissait pourtant jusqu’au fond de ses entrailles, jusqu’à la dernière fibre de son pauvre corps de chien. Et la pointe du museau soigneusement posée sur ses pattes croisées, clignant des paupières,