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D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

y versait mille poisons, j’aurais préféré leur haine. Enfin, j’ai tenu bon, j’ai subi ma peine en silence. J’étais jeune alors, je plaisais. Lorsqu’on est sûre de plaire, qu’il ne tient qu’à vous d’aimer, d’être aimée, la vertu n’est pas difficile, du moins aux femmes de ma sorte. Le seul orgueil suffirait à nous tenir debout. Je n’ai manqué à aucun de mes devoirs. Parfois même je me trouvais heureuse. Mon mari n’est pas un homme supérieur, il s’en faut. Par quel miracle Chantal, dont le jugement est très sûr, souvent féroce, n’a-t-elle pas compris que… Elle n’a rien compris. Jusqu’au jour… Notez bien, monsieur, que j’ai supporté toute ma vie des infidélités sans nombre, si grossières, si puériles, qu’elles ne me faisaient aucun mal. D’ailleurs, d’elle et de moi, ce n’était pas moi, certes, la plus trompée !…

Elle s’est tue de nouveau. Je crois que j’ai machinalement posé ma main sur son bras. J’étais à bout d’étonnement, de pitié. — « J’ai compris, madame, lui dis-je. Je ne voudrais pas que vous regrettiez un jour d’avoir tenu au pauvre homme que je suis des propos que le prêtre seul devrait entendre. » Elle m’a jeté un regard égaré. — « J’irai jusqu’au bout, a-t-elle dit d’une voix sifflante. Vous l’aurez voulu ainsi. » — « Je ne l’ai pas voulu ! » — « Il ne fallait pas venir. Et d’ailleurs vous savez bien forcer les confidences, vous êtes un rusé petit prêtre. Allons ! finissons-en ! Que vous a dit Chantal ? Tâchez de répondre franchement. » Elle frappait du pied comme sa fille. Elle se