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JOURNAL

gine le silence de certaines âmes comme d’immenses lieux d’asile. Les pauvres pécheurs, à bout de forces, y entrent à tâtons, s’y endorment, et repartent consolés sans garder aucun souvenir du grand temple invisible où ils ont déposé un moment leur fardeau.

Évidemment, il est un peu sot d’évoquer l’un des plus mystérieux aspects de la Communion des Saints à propos de cette résolution que je viens de prendre et qui aurait pu aussi bien m’être dictée par la seule prudence humaine. Ce n’est pas ma faute si je dépends toujours de l’inspiration du moment, ou plutôt, à vrai dire, d’un mouvement de cette douce pitié de Dieu, à laquelle je m’abandonne. Bref, j’ai compris tout à coup que depuis ma visite au docteur je brûlais de confier mon secret, d’en partager l’amertume avec quelqu’un. Et j’ai compris aussi que pour retrouver le calme, il suffisait de me taire.

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Mon malheur n’a rien d’étrange. Aujourd’hui des centaines, des milliers d’hommes peut-être, à travers le monde, entendront prononcer un tel arrêt, avec la même stupeur. Parmi eux je suis probablement l’un des moins capables de maîtriser une première impulsion, je connais trop ma faiblesse. Mais l’expérience m’a aussi appris que je tenais de ma mère, et sans doute de beaucoup d’autres pauvres femmes de ma race, une sorte d’endurance presque irrésistible à la longue, parce qu’elle ne tente pas de se me-