Page:Bernanos - Journal d’un curé de campagne.djvu/343

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
333
D’UN CURÉ DE CAMPAGNE

rais entendu n’importe quoi. Bien que la dernière semaine passée à Ambricourt me laissât une inexplicable impression de sécurité, de confiance, et comme une promesse de bonheur, les paroles d’abord si rassurantes de M. Laville ne m’en avaient pas moins causé une grande joie. Je comprends maintenant que cette joie était sans doute beaucoup plus grande que je ne pensais, plus profonde. Elle était ce même sentiment de délivrance, d’allégresse que j’avais connu sur la route de Mézargues, mais il s’y mêlait l’exaltation d’une impatience extraordinaire. J’aurais d’abord voulu fuir cette maison, ces murs. Et au moment précis où mon regard semblait répondre à la muette interrogation du docteur, je n’étais guère attentif qu’à la vague rumeur de la rue. M’échapper ! Fuir ! Retrouver ce ciel d’hiver, si pur, où j’avais vu ce matin, par la portière du wagon, monter l’aube ! M. Laville a dû s’y tromper. La lumière s’est faite ailleurs en moi tout à coup. Avant qu’il eût achevé sa phrase, je n’étais déjà plus qu’un mort parmi les vivants.

Cancer… Cancer de l’estomac… Le mot surtout m’a frappé. J’en attendais un autre. J’attendais celui de tuberculose. Il m’a fallu un grand effort d’attention pour me persuader que j’allais mourir d’un mal qu’on observe en effet très rarement chez les personnes de mon âge. J’ai dû simplement froncer les sourcils comme à l’énoncé d’un problème difficile. J’étais si absorbé que je ne crois pas avoir