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JOURNAL D’UN CURÉ

devoir le retenir à la maison. Mon intérieur, quoique fort simple, paraissait lui plaire beaucoup et il n’a fait aucune difficulté pour accepter d’y passer la nuit. J’ajoute que j’avais moi-même, par délicatesse, demandé l’hospitalité d’un ami dont l’appartement se trouve peu éloigné du mien.

Vers quatre heures, ne pouvant dormir je suis allé discrètement jusqu’à sa chambre, et j’ai trouvé mon malheureux camarade étendu à terre sans connaissance. Nous l’avons transporté sur son lit. Quelque soin que nous ayons pris, je crains que ce déplacement ne lui ait été fatal. Il a rendu aussitôt des flots de sang. La personne qui partageait alors ma vie ayant fait de sérieuses études médicales a pu lui donner les soins nécessaires, et me renseigner sur son état. Le pronostic était des plus sombres. Cependant l’hémorragie a cessé. Tandis que j’attendais le médecin, notre pauvre ami a repris connaissance. Mais il ne parlait pas. D’épaisses gouttes de sueur coulaient de son front, de ses joues, et son regard, à peine visible entre ses paupières entr’ouvertes, semblait exprimer une grande angoisse. J’ai constaté que son pouls s’affaiblissait très vite. Un petit voisin est allé prévenir le prêtre de garde, vicaire à la paroisse de Sainte-Austreberthe. L’agonisant m’a fait comprendre par signes qu’il désirait son chapelet que j’ai pris dans la poche de sa culotte, et qu’il a tenu dès lors serré sur sa poitrine. Puis il a paru retrouver des forces, et d’une voix presque inintelligible m’a prié de l’absoudre. Son visage