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SOUS LE SOLEIL DE SATAN

réponse du pauvre prêtre ne le rassura point assez.

Un mot toutefois, échappé beaucoup plus tard à l’abbé Donissan, éclaire d’une étrange lueur cette période obscure de sa vie. « Quand j’étais jeune, avoua-t-il à M. Groselliers, je ne connaissais pas le mal : je n’ai appris à le connaître que de la bouche des pécheurs. »

Ainsi les semaines succédaient aux semaines, la vie reprenait paisible, monotone, sans que rien ne justifiât une inquiétude singulière. Depuis le dernier entretien de la nuit de Noël, le silence gardé par l’abbé Donissan l’avait douloureusement déçu et l’obéissance, la douceur contrainte et passive du futur curé de Lumbres n’avait pas dissipé l’amertume d’une espèce de malentendu dont il ne pénétrait pas les causes. Était-ce un malentendu seulement ? De jour en jour ce vieillard d’expérience et de savoir, si bien défendu contre la tyrannie des apparences, sent peser sur ses épaules une crainte indéfinissable. Le grand enfant qui, chaque soir, se met humblement à genoux et reçoit sa bénédiction avant de regagner sa chambre connaît son secret, et lui, il ne connaît pas le sien. Pour si obstinément qu’il l’observât, il ne pouvait surprendre en lui un de ces signes extérieurs qui marquent l’activité de l’orgueil et de l’ambi-