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« Ne croyez pas cela, Monsieur Camille Doucet, ma petite sœur dit un mensonge… »

Mais Régina avait bondi ; et, crispant ses poings, elle se rua sur moi comme une petite brute : « Tante Rosine a pas dit ça ?… C’est toi qu’est menteuse… à preuve qu’elle a dit ça à M. de Morny, qu’a répondu… »

Je ne me rappelais plus, et ne me rappelle plus ce qu’avait répondu le duc de Morny ; mais, affolée, je mis la main sur la bouche de ma sœur et l’entraînai en courant. Elle braillait comme un putois, et nous traversâmes en ouragan la salle d’attente pleine de monde précédant le cabinet du directeur des Beaux-Arts.

Je m’abandonnai sans réserve à une de ces violentes colères qui avaient bouleversé mon enfance, et me jetai dans le premier fiacre passant. Une fois dans ce fiacre, je frappai ma petite sœur avec une telle rage, que Mme Guérard affolée la couvrit de son corps et reçut mes coups de pied, mes coups de poing, mes coups de tout, car je jetais mon corps de droite, de gauche, ivre de colère, de chagrin, de honte.

Ce chagrin était d’autant plus grand que j’aimais infiniment Camille Doucet. Il était doux et charmant, affable et sensible. Il avait refusé je ne sais quoi à ma tante qui, peu habituée aux refus, avait conçu de l’humeur. Mais moi, j’étais innocente de cela.

Qu’allait-il croire, Camille Doucet ? Et puis, je ne lui avais même pas fait ma demande pour le Vaudeville. Tous mes beaux rêves étaient à vau-l’eau. Et c’était ce petit monstre blond et blanc comme un séraphin qui venait de briser mon premier rêve.

Pelotonnée dans la voiture, son front têtu barré par la peur, ses lèvres minces, serrées, elle me regardait, les yeux mi-clos à travers ses longs cils.