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très complimentée : elle était vêtue d’une robe de tarlatane bleu pâle ; un bouquet de myosotis à son corsage ; une brindille de myosotis dans ses cheveux noirs.

Elle était grande, très grande, des épaules frôles et blanches émergeaient avec pudeur de sa robe décolletée, très décolletée… sans danger. Sa tête fine, un peu altière, était de toute grâce, de toute beauté. Quoique très jeune, elle avait un charme plus femme que nous toutes.

Ses grands yeux mordorés jouant de la prunelle, sa bouche petite et ronde envoyait un sourire de côté plein de malice ; et son nez, d’un dessin merveilleux, battait des ailes. L’ovale de son beau visage était arrêté à la naissance des cheveux par deux toutes petites oreilles nacrées et transparentes du plus pur dessin. Un col long, flexible et blanc soutenait cette tête charmante. C’était un prix de beauté qu’on avait décerné à Marie Lloyd ! Et le jury avait été de bonne foi.

Elle était entrée rieuse et radieuse, dans Célimène, son morceau de concours ; et, malgré la monotonie de son débit, la mollesse de sa diction, l’impersonnalité de son jeu, elle avait remporté les suffrages : parce qu’elle était la personnification de Célimène, cette coquette de vingt ans si inconsciemment cruelle.

Elle avait réalisé, pour chacun, l’idéal rêvé par Molière.

Toutes ces réflexions se coordonnèrent plus tard dans mon cerveau. Et cette première leçon si douloureuse me servit beaucoup dans ma carrière.

Je n’ai jamais oublié le prix de Marie Lloyd. Et chaque fois que je crée un rôle, le personnage se présente devant moi costumé, coiffé, marchant, saluant, s’asseyant, se levant.