Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

au pied levé dans Le Démon du jeu, pièce qui avait un grand succès. Je ne fus pas trop mal dans ces deux pièces ; mais Montigny, malgré mes prières, ne vint pas me voir ; et le méchant régisseur me jouait mille tours.

Je sentais gronder en moi de sourdes colères, et je luttais le plus qu’il m’était possible pour calmer mes nerfs.


Un soir, comme je quittais le théâtre, on me remit un bulletin de lecture pour le lendemain. Montigny m’avait promis un beau rôle. Et je m’endormis, bercée par les fées qui me transportaient dans le pays des succès et des gloires.

En arrivant au théâtre, je trouvai déjà présentes Blanche Pierson et Céline Montalant, les deux plus jolies créatures que le bon Dieu se soit amusé à créer : l’une blonde comme un soleil levant ; l’autre brune comme une nuit étoilée, car elle était lumineuse malgré ses cheveux noirs. Il y avait encore d’autres femmes, si jolies...

La pièce qu’on allait lire avait pour titre : Un mari qui lance sa femme. Elle était de Raymond Deslandes.

J’écoutai la pièce sans grand plaisir, et je la trouvai stupide. J’attendais avec anxiété quel rôle on allait me distribuer. Je ne le sus que trop tôt. C’était le personnage d’une princesse Dunchinka, évaporée, folle, rieuse, mangeant et dansant toujours. Ce rôle ne me convenait en aucune façon.

J’avais une grande inexpérience de la scène, une timidité un peu gauche ; et puis, vraiment, je n’avais pas travaillé trois ans avec tant de persistance et de foi pour créer un rôle de grue dans une pièce imbécile.

Je ne cessais de désespérer. Les idées les plus folles me passaient par la tête. Je voulais renoncer au