Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/171

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théâtre et faire du commerce. J’en parlai au vieil ami de la famille, à cet insupportable Meydieu qui me soutint dans cette idée et voulut me faire prendre un magasin boulevard des Italiens, une confiserie ! Oui, c’était son idée fixe à ce brave homme. Il adorait les bonbons, et il connaissait un tas de recettes pour des bonbons inconnus qu’il voulait propager. Je me souviens d’un « bonbon nègre », c’est ainsi qu’il voulait le nommer : c’était un mélange de chocolat et d’essence de café roulé dans du bois de réglisse grillé. Cela ressemblait à une praline noire ; et c’était très bon.

Entêtée dans mon idée, j’allai avec Meydieu visiter une boutique ; et quand il me montra le petit entresol qui devait me servir de logement, je fus prise d’un tel malaise, que je repoussai à tout jamais l’idée du « commerce ».


Cependant, je répétais chaque jour cette pièce insipide. J’étais de méchante humeur.

Enfin, la première représentation eut lieu. Je n’eus ni succès, ni insuccès ; je passai inaperçue. Et, le soir, maman me dit : « Ma pauvre enfant, tu étais ridicule, dans ta princesse russe ! Et tu m’as fait un profond chagrin. »

Je ne répondis pas un mot ; mais j’eus très réellement le désir de me tuer.

Je dormis mal et je m’en fus vers six heures du matin chez Mme Guérard. Je lui demandai du laudanum qu’elle me refusa. Et voyant mon insistance, la pauvre chère femme comprit mon dessein. « Alors, lui dis-je brusquement, jurez sur la tête de vos enfants que vous ne direz à personne ce que je vais faire, et je ne me tuerai pas. »