Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/225

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je m’y trouvai trop à l’étroit. Je pris un appartement meublé, rue de l’Arcade. La maison était triste, l’appartement noir.

Je me demandais comment j’allais sortir de ces ennuis, quand, un matin, on m’annonça Me C..., le notaire de mon père, cet homme que je détestais tant. Je le fis entrer, m’étonnant d’être restée si longtemps sans le voir.

Il me dit qu’il venait de Hambourg, qu’il avait lu dans un entrefilet le malheur qui m’était arrivé, et qu’il était venu se mettre à ma disposition. Alors, émue, malgré ma méfiance, je lui racontai le drame de mon incendie. Je ne savais pas comment le feu avait pris. Cependant je soupçonnais vaguement ma jeune femme de chambre Joséphine d’avoir, malgré mes semonces réitérées, mis le flambeau allumé sur la petite crédence placée à la tête de mon lit, du côté gauche. C’était sur ce petit meuble qu’elle préparait la carafe d’eau, le verre, et le compotier de Saxe dans lequel il y avait toujours deux pommes crues, car j’adore manger des pommes la nuit quand je m’éveille. La porte de la chambre en s’ouvrant faisait un terrible courant d’air avec les fenêtres toujours ouvertes jusqu’à l’heure de mon coucher ; et les rideaux de mon lit qui étaient en dentelles avaient dû prendre feu dès la fermeture de la porte. Je ne pouvais expliquer autrement ce subit incendie, et comme plusieurs fois j’avais vu la jeune servante commettre cette sottise, je pensais que, ce soir-là, pressée d’aller se mettre au lit, tourmentée qu’elle était par ses douleurs de tête, elle était partie sans même me dire, ainsi qu’elle le faisait quand je me couchais sans son aide : « Madame, tout est prêt. » Alors je me levais et j’allais vérifier moi-même que tout était