Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/233

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prenait l’épouvantable boucherie : l’héroïque défense du maréchal Canrobert, et la première trahison de Bazaine ne venant pas au secours de son camarade.

Je connaissais Canrobert et je l’aimais infiniment. Plus tard, il fut parmi mes fidèles. Et j’ai conservé le souvenir des heures exquises passées à l’entendre raconter les prouesses des autres (jamais les siennes). Et quelle abondance d’anecdotes ! Que d’esprit ! que de charme !

Cette nouvelle de la bataille de Saint-Privat renouvelait mes fièvres. Mes nuits se peuplèrent de cauchemars. Je retombai malade.

Chaque jour les nouvelles étaient pires. Gravelotte, avec ses trente-six mille hommes, français et allemands, fauchés en quelques heures, succédait à Saint-Privat. Puis les efforts sublimes mais impuissants de Mac-Mahon, repoussé jusqu’à Sedan. Et enfin Sedan ! Sedan...

Ah ! l’horrible réveil !


Le mois d’août était mort la veille dans le fracas des armes, des hoquets. Mais la plainte des mourants allait encore vers l’espérance.

Le mois de septembre à peine né devint maudit. Son premier cri de guerre fut étouffé par la main brutale et lâche du Destin. Cent mille hommes, cent mille Français durent capituler. Et l’empereur des Français dut remettre son épée au roi de Prusse.

Ah ! le cri de douleur, le cri de rage poussé par la nation entière ! Nul ne peut l’oublier.

Le 1er septembre, vers dix heures, Claude, mon intendant, frappa à ma porte. Je ne dormais pas. Il me remit la copie des premières dépêches : « Bataille de Sedan engagée. Mac-Mahon blessé, etc... »