Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/242

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sage de femmes élégantes avait disparu. Une vague odeur de tabac, de vêtements gras, de cheveux sales alourdissait l’air.

Ah ! la jolie impératrice des Français ! je la revoyais dans sa robe bleue brodée d’argent, appelant à son aide la fée de Cendrillon pour l’aider à remettre son petit soulier. — Ce délicieux prince impérial, je le revoyais m’aidant à placer des pots de verveines, de marguerites, et tenant dans ses bras trop faibles un énorme pot de rhododendrons derrière lequel son joli visage disparaissait.

Enfin, je revoyais l’empereur Napoléon III, avec ses yeux mi-clos, applaudissant à la répétition de la révérence qui lui était destinée.

Et la blonde impératrice s’était enfuie, vêtue de vêtements étranges, dans le coupé de son dentiste américain ; car ce n’est même pas un Français qui a eu le courage de protéger la malheureuse femme, c’est un étranger. Et le doux et utopiste empereur avait vainement essayé de se faire tuer sur le champ de bataille. Deux chevaux tués sous lui, et pas une égratignure. Et il avait rendu son épée. Et nous avions tous pleuré de rage, de honte et de douleur en apprenant cette remise d’épée. Et quel courage ne lui avait-il pas fallu, à cet homme brave, pour accomplir cet acte ! Il avait voulu sauver cent mille hommes, épargner cent mille vies, rassurer cent mille mères.

Pauvre cher empereur ! L’histoire lui rendra justice un jour, car il était bon et humanitaire, et confiant. Hélas ! hélas trop !

Je m’arrêtai un instant, avant de pénétrer dans les appartements du préfet. J’essuyai mes yeux ; et pour