Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/257

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comme une des heures les plus charmantes et les plus mélancoliques. Nous soupâmes dans la toute petite pièce qui nous servait de chambre. Nos trois lits, recouverts d’étoffes et de fourrures que j’avais fait venir de chez moi, nous servaient de sièges. Mlle Hocquigny m’avait envoyé cinq mètres de boudin blanc, et mes pauvres soldats un peu valides se réjouirent de ce plat délicat. Un de mes amis m’avait fait faire vingt grandes brioches ; et j’avais commandé de grands bols de punch dont les flammes irisées amusèrent follement les grands enfants malades. Le jeune curé de Saint-Sulpice accepta un petit morceau de brioche, une goutte de vin blanc et partit.

Oh ! qu’il était charmant et bon, ce jeune curé ! Et il savait si bien faire taire Fortin, un blessé insupportable qui peu à peu s’humanisait et finissait par trouver qu’il était « un bon bougre ». Pauvre petit curé de Saint-Sulpice ! Il fut fusillé par les communards. Et j’ai pleuré des jours et des jours l’assassinat du petit curé de Saint-Sulpice.