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XVII


Cependant, on arrivait en janvier. L’armée ennemie tenait Paris enserré dans son étreinte chaque jour plus étroite. Les vivres se faisaient rares. Un froid lupal enveloppait la ville ; et les pauvres soldats qui tombaient, parfois légèrement blessés, s’endormaient doucement du sommeil éternel, le cerveau engourdi, le corps mi-gelé.

On ne recevait plus de nouvelles. Cependant, grâce au ministre des États-Unis qui avait voulu rester dans Paris, une lettre parvenait de temps à autre. C’est ainsi que je reçus un petit papier, mince et souple comme un pétale de primevère, me disant : « Nous partons tous pour La Haye. Tout le monde bien. Bon courage. Mille baisers. — Ta mère. » Cette impalpable missive datait de dix-sept jours.

Ainsi, maman, mes sœurs, mon petit garçon, tout le monde était à La Haye depuis ce temps, et mon esprit sans cesse en voyage vers eux s’égarait sur la route qui conduit vers Le Havre, où je les croyais installés et tranquilles chez une cousine de ma grand’mère