Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/271

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soi, sans route derrière soi, sans autre plafond que l'éther du ciel, avec sous les pieds l’ouate humide des nuages...

Ah ! que je m’intéressais aux recherches de mon ami ! Mais un jour, illuminé par sa nouvelle trouvaille» il vint à moi : « Ah ! j’ai trouvé quelque chose qui me rend fou de joie ! » Et il se mit à m’expliquer que son ballon pourrait contenir sans danger des matières inflammables, parce que ceci... parce que cela... grâce à ceci... grâce à cela... « Mais pourquoi faire ? lui dis-je, abasourdie par tant de paroles, affolée par tant de mots techniques. — Comment, pourquoi faire ? Mais pour la guerre ! On pourra tirer et jeter des bombes terribles, de mille à douze cents... même à quinze cents mètres ; et impossible de rien recevoir à une pareille distance. Mon ballon, grâce à l’enduit (qui est mon invention) dont les toiles seront revêtues, ne craindra rien pour le feu ! ni pour le gaz ! »

Mais, l’interrompant brusquement : « Je ne veux plus rien savoir, ni de vous, ni de votre invention. Je vous croyais un savant humanitaire, et vous êtes une bête sauvage ! Vous cherchiez la plus belle manifestation du génie humain, de ces fêtes du ciel dont j’étais déjà si amoureuse, vous voulez maintenant les transformer en lâches attaques contre la terre, vous me faites horreur ! Allez-vous-en ! » Et je laissai mon ami avec sa courte honte et sa cruelle invention. Ses efforts n’ont pas abouti selon son rêve.


Les restes du pauvre gosse furent mis dans une toute petite bière. Et Mme Guérard et moi suivîmes le corbillard des pauvres par une matinée si froide, que le conducteur du char funèbre dut s’arrêter pour prendre