Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/276

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arracher tous les poils qui s’étaient entremêlés dans cet inextricable hachis. Quand le barbier passa doucement le rasoir autour de la plaie, le malheureux devint livide, et un juron s’échappa de ses lèvres ; mais il tourna son regard vers moi : « Pardon, Mademoiselle. » J’étais très jeune, mais je paraissais encore plus jeune que mon âge, j’avais l’air d’une toute jeune fille. Je tenais dans ma main la main du pauvre marin, et je le réconfortais par mille paroles douces qui montent du cœur des femmes jusqu’à leurs lèvres, quand elles ont à consoler une douleur morale ou physique. « Ah ! Mademoiselle !... me dit le pauvre Bloas quand son pansement fut fini. Mademoiselle, vous m’avez donné du courage. »

Quand l’apaisement fut venu, je lui demandai s’il voulait manger quelque chose. « Oui, me dit-il. — Eh bien, mon gars, s’écria Mme Lambquin, voulez-vous de la soupe, du fromage, ou des confitures ? » Et le solide et puissant gaillard dit en souriant : « Oui, des confitures. »


Désiré Bloas me parlait souvent de sa mère, qui habitait tout près de Brest. Il avait pour cette mère une véritable adoration, mais il semblait avoir une effroyable rancœur contre son père ; car, un jour que je lui demandai si son père vivait encore, il leva ses yeux hardis et les fixa avec un incroyable défi de mépris douloureux sur un être pour lui seul visible. Hélas ! le brave enfant devait finir cruellement ; je dirai comment plus tard.

Les souffrances du siège commençaient à mordre sur le moral des Parisiens. On venait de rationner le pain :