Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/280

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mandant Monfils. Et, — comme la vie est pleine d’imprévu ! — elle se trouve être l’institutrice des deux filles de mon fils, son ancien élève.

Mlle Chesneau était alors une toute jeune fille ressemblant à une créole, avec de très beaux yeux noirs, doux et timides, et une voix d’enfant. A nous voir toutes deux, on nous aurait pris pour deux gamines, car, quoique plus âgée que la jeune fille, ma minceur et mon visage me donnaient l’aspect plus jeune qu’elle.

C’eût été folie d’emporter une malle avec nous. Je pris un sac pour nous deux. Il n’y avait dedans que du linge de rechange et des bas. J’avais pris mon revolver et en offris un à Mlle Chesneau, mais elle le refusa avec horreur ; et elle me montra une énorme paire de ciseaux dans un énorme étui. « Mais qu’est-ce que vous voulez faire de ça ? — Je me tuerai, me répondit-elle tout doucement. Je me tuerai si on nous attaque. »

Je fus surprise de la divergence de nos caractères : Moi, je prenais un revolver, décidée à tuer pour me défendre ; elle, était décidée à se tuer pour se défendre.