Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poser, Mesdames, je reviendrai vous prendre à l’heure voulue. »

Il sortit et je ne tardai pas à m’endormir profondément. J’étais morte de fatigue. Mlle Chesneau me toucha l’épaule pour me réveiller, on allait partir. Le jeune officier marcha près de moi pour me conduire.

Je restai un peu interdite devant le wagon dans lequel on me pria de monter. Ce wagon était à ciel ouvert et rempli de charbon. L’officier fit mettre plusieurs sacs vides les uns sur les autres, pour rendre mon siège plus doux. Il envoya chercher sa capote d’officier, me priant de la lui renvoyer, mais je refusai énergiquement ce déguisement odieux. Il faisait un froid mortel. Mais je préférais mourir de froid plutôt que de m’affubler de cette capote ennemie.

Un coup de sifflet. Un salut du chef blessé ; et le train de marchandises s’ébranla. Il y avait des soldats prussiens dans les wagons.

Autant les officiers allemands étaient polis et courtois, autant les sous-ordres, les employés et les soldats étaient brutes et grossiers.

Le train s’arrêtait sans raisons plausibles, repartait pour s’arrêter encore et stopper pendant une heure par une nuit glaciale.


Arrivés à Creil, le chauffeur, le mécanicien, les soldats, tout le monde descendit. Je suivis du regard tous ces gens sifflant, braillant, crachant, et s’esclaffant en nous montrant du doigt. N’étaient-ils pas les vainqueurs ? ... Et nous les vaincus ?...

A Creil, nous restâmes plus de deux heures en panne. Nous entendions des lointains accords de musique