Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/293

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tourbillon destructeur, criant : « Vive la guerre ! » Et les femmes à genoux, les bras tendus, criaient : « La guerre est une infamie ! Au nom de nos flancs qui vous ont portés, de nos mamelles qui vous ont nourris, au nom de nos douleurs dans l’enfantement, au nom de nos angoisses au-dessus de vos berceaux, arrêtez-vous ! »

Mais le tourbillon sauvage passait, écrasant les femmes. Je tendis les bras dans un effort suprême qui m’éveilla subitement. J’étais couchée dans le lit de la jeune fille ; Mlle Chesneau, près de moi, me tenait par la main. Un inconnu, que j’entendis de suite appeler docteur, me renversa doucement sur la couchette.

J’eus quelque peine à réunir mes idées. « Depuis quand suis-je là ? — Depuis cette nuit, dit la douce voix de Mlle Chesneau ; vous avez perdu connaissance et le docteur nous a dit que vous aviez un accès de fièvre chaude ; ah ! j’ai eu bien peur. »

Je tournai ma tête vers le docteur : « Oui, chère Madame, il faut être bien sage encore pendant quarante-huit heures ; et après, vous pourrez repartir. Mais voilà bien des secousses pour une santé si délicate. Il faut prendre garde, il faut prendre garde ! » Je pris la potion qu’il me présentait, m’excusai près du propriétaire de la maison, qui venait d’entrer, et je tournai la tête du côté du mur. J’avais tant et tant besoin de repos.

Deux jours après, je quittai mes hôtes si tristes et si sympathiques ; mes compagnons de voyage avaient tous disparu.

Je descendis, rencontrant à chaque instant un Prussien dans l’escalier, car le malheureux avait été envahi d’assaut et d’autorité par l’armée allemande ; et il dévisageait chaque soldat, chaque officier, pour tâcher