Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/327

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soient, avoir comme ennemis que comme amis. » Et je priai mon maître d’hôtel de reconduire le préfet de police jusqu’à la porte.

Mme Guérard était désespérée : « Cet homme nous fera du mal, ma petite Sarah, je vous l’affirme. » Son pressentiment ne la trompait pas. Seulement, elle pensait à moi et non à elle ; et ce fut contre elle qu’il exerça sa première vengeance, en déplaçant un de ses parents, commissaire de police, pour l’envoyer à un poste inférieur et dangereux. Puis il inventa mille misères. Un jour, je reçus l’ordre de me rendre de suite, pour affaire urgente, à la préfecture de police. Je ne répondis pas. Le lendemain, une estafette à cheval me remettait un mot du sieur Raoul Rigault, qui me menaçait de me faire chercher par une voiture cellulaire. Je ne tins aucun compte des menaces de ce drôle qui fut fusillé peu de temps après et mourut sans bravoure.


Cependant, la vie n’était plus tenable à Paris. Je décidai de partir pour Saint-Germain-en-Laye. Je priai ma mère de m’accompagner, mais elle partait pour la Suisse avec ma sœur cadette.

Le départ de Paris ne fut pas aussi commode que je l’avais supposé. Des communards, fusil sur l’épaule, arrêtaient les trains et fouillaient partout : dans les sacs, les poches, et même sous les coussins des compartiments. Ils craignaient que les voyageurs n’allassent porter des journaux aux Versaillais. C’était monstrueusement bête.

L’installation à Saint-Germain-en-Laye ne fut pas chose facile. Presque tout Paris s’était réfugié dans ce petit pays aussi joli qu’ennuyeux. Du haut de la terrasse,