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où la foule se tenait matin et soir, nous voyions les menaçants progrès de la Commune.

De tous côtés de Paris, les flammes s’élevaient orgueilleuses et dévastatrices. Souvent le vent nous apportait des papiers brûlés. On les envoyait aussitôt à la mairie. La Seine en charriait des quantités que les mariniers ramassaient dans des sacs. Certains jours, et ceux-là étaient les plus angoissants, un opaque voile de fumée enveloppait Paris. Aucune brise ne permettait aux flammes de se faire une trouée.

La ville brûlait sournoisement sans qu’il fût possible à nos yeux anxieux de découvrir les nouveaux foyers allumés par ces fous furieux.


Je montais à cheval chaque jour. J’allais à travers la forêt. Je poussais jusqu’à Versailles, mais cela n’était pas sans danger, car on rencontrait souvent, dans la forêt, de pauvres diables affamés qu’on soulageait avec joie ; mais souvent aussi, des prisonniers, échappés de Poissy, ou des communards francs-tireurs qui voulaient tuer à tout prix un soldat versaillais.

Revenant un jour de Triel, où nous avions galopé, le capitaine O’Connor et moi, dans tous les coteaux, nous nous engageâmes assez tard dans la forêt, pour prendre par le plus court, lorsqu’un coup de feu sortant d’un taillis voisin fit bondir mon cheval vers la gauche, d’une façon si rude que je fus désarçonnée. Heureusement, ma bête était sage. O’Connor s’empressa auprès de moi ; mais, me voyant sur pied, prête à me remettre en selle : « Une seconde, je veux sonder ce taillis. » En trois temps de galop, il fut à l’endroit indiqué. J’entendis un coup de feu, puis des branches craquer sous des pieds fuyards. Un autre coup de feu ne ressemblant