Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/329

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en rien aux deux autres, et mon ami reparut, le pistolet en main.

« Il ne vous a pas touché, lui demandai-je ? — Si, la première fois, légèrement, à la jambe. Il a tiré trop bas. Le second coup, il l’a tiré au hasard. Mais je crois qu’il a ma balle de revolver dans le corps. — Mais, lui dis-je, je l’ai entendu qui fuyait. — Oh ! ricana l’élégant capitaine, il n’ira pas loin. — Pauvre diable... murmurai-je. — Oh ! non, s’écria O’Connor, non, je vous en prie, ne les plaignez pas : ils nous tuent chaque jour des quantités d’hommes ; hier encore, cinq soldats de mon régiment ont été trouvés sur la grand’route de Versailles, non seulement tués, mais mutilés. » Et, grinçant des dents, il acheva sa phrase dans un juron.

Je me retournai vers lui un peu étonnée, mais il n’y prit pas garde.

Nous continuâmes notre route, marchant aussi vite que nous le permettaient les obstacles de la forêt. Tout à coup nos chevaux s’arrêtèrent, renâclant, reniflant. O’Connor prit son revolver en main et descendit, traînant sa monture.

A quelques mètres de nous, un homme gisait à terre. « Ça doit être mon drôle de tout à l’heure. » Et, se penchant sur l’homme, il l’interpella ; un gémissement répondit à son appel. O’Connor n’avait pas vu l’homme, il ne pouvait le reconnaître. Il fit flamber une allumette. L’homme n’avait pas de fusil.

J’étais descendue, et j’essayai de soulever la tête du malheureux, mais je retirai ma main pleine de sang. Il avait ouvert les yeux et, les fixant sur O’Connor : « Ah ! c’est toi, chien de Versaillais !... C’est toi qui m’as tiré dessus ! Je t’ai raté, mais... » et sa main essaya de retirer