Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honteuse paix signée, la malheureuse Commune écrasée, il paraît que tout était rentré dans l’ordre. Mais que de sang ! que de cendres ! que de femmes en deuil ! que de ruines !

Dans Paris, on respirait l’odeur acre de la fumée. Tout ce que je touchais chez moi me laissait aux doigts une imperceptible coloration un peu grasse. Un malaise général enveloppait la France, mais surtout Paris. Cependant les théâtres rouvraient leurs portes, et ce fut un soulagement général.

Un matin, je reçus de l’Odéon un bulletin de répétition. Et je secouai mes cheveux. Je frappai du pied, humant l’air, tel un jeune cheval qui s’ébroue.

On rouvrait la carrière. On allait galoper de nouveau à travers les rêves. La lice était ouverte. La lutte s’engageait. La vie recommençait, car c’est vraiment bizarre que l’esprit de l’homme ait tourné la vie du côté de la lutte perpétuelle. Quand ce n’est plus la guerre, c’est encore la bataille ; car on est cent mille pour un même but.

Dieu a créé la terre et l’homme l’un pour l’autre. La terre est grande. Que de terrain sans culture ! Des milles et des milles, des lieues et des lieues, sont des terres neuves attendant les bras qui puiseront dans son sein les trésors de l’inépuisable nature. Et l’on reste groupés. Des tas, affamés, guettant d’autres groupes aux aguets.


L’Odéon ouvrit ses portes au public en lui offrant du répertoire. On mit quelques pièces nouvelles à l’étude.

Une surtout eut un retentissant succès. Ce fut Jean-Marie, d’André Theuriet, en octobre 1871.