Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/345

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du ciel bleu, ces petites vagues rieuses ? Quelle étoile de mer rose ? Quelle anémone mauve ? Quelle coquille nacrée ?

Aussi, je n’ouvre jamais mes lettres de suite. Je regarde les enveloppes, cherche à reconnaître l’écriture, le cachet, et ce n’est que lorsque je suis bien certaine de qui est la lettre, que je l’ouvre.

Les autres, je les fais ouvrir par mon secrétaire ou par ma gentille amie Suzanne Seylor. Mes amis savent si bien cela qu’ils mettent toujours leur nom ou initiales dans le coin de leurs lettres. À cette époque-là, je n’avais pas de secrétaire. Mais « mon petit’dame » m’en servait.

Je regardai longtemps la lettre, et je la remis enfin à Guérard. « C’est, me dit-elle, une lettre de M. Perrin, administrateur de la Comédie-Française. Il demande si vous pouvez lui fixer une heure, mardi ou mercredi dans l’après-midi, soit à la Comédie, soit chez vous ? — Merci. Quel jour sommes-nous ? — Lundi. » Alors j’installai Guérard à mon secrétaire. « Veux-tu lui répondre que j’irai demain à trois heures. »

Je gagnais fort peu à cette époque à l’Odéon. Je vivais sur ce que m’avait laissé mon père, c’est-à-dire sur la transaction faite avec le notaire du Havre ; et il ne me restait pas grand’chose.

J’allai donc trouver Duquesnel et lui montrai la lettre. « Eh bien, me dit-il, que vas-tu faire ? — Rien. Je viens te demander conseil. — Eh bien, je te conseille de rester à l’Odéon. D’ailleurs, tu as encore un an d’engagement, je ne te laisserai pas partir ! — Alors, augmente-moi ? On m’offre douze mille francs par an à la Comédie ; donne-moi quinze mille francs ici, et je resterai, car je n’ai pas envie de partir. »