Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/364

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Après un petit rappel bien mou, je reçus des nouvelles de maman, qui allait mieux, mais qui avait eu une crise très forte. Pauvre maman ! Elle m’avait trouvée si laide dès mon entrée en scène, que sa belle indifférence s’était écroulée sous une douloureuse stupeur, laquelle devint rage en entendant une grosse dame, assise près d’elle, dire en ricanant : « Mais c’est un os brûlé, que cette petite Bernhardt ! »

J’étais rassurée ; et je jouai mon dernier acte avec confiance. Cependant, le gros succès de la soirée fut pour Croizette, ravissante dans la marquise de Prie.

Mon succès cependant augmenta à la seconde représentation, s’affirma dans les représentations suivantes, et devint si grand, qu’on m’accusa de me payer de la claque. J’ai beaucoup ri et ne me suis même pas défendue, ayant l’horreur des paroles inutiles.

Je continuai mes débuts dans Junie, de Britannicus, ayant, pour Néron, Mounet-Sully qui y fut admirable. J’obtins un succès immense, incroyable, dans ce délicieux rôle de Junie.

Puis je jouai, en 1873, Chérubin, dans Le Mariage de Figaro ; c’était Croizette qui jouait Suzanne ; et ce fut un régal pour le public que de voir la délicieuse créature jouer un rôle de charme et de gaieté. Chérubin fut pour moi l’occasion d’un nouveau succès.

Au mois de mars 1873, Perrin eut l’idée de monter Dalila, d’Octave Feuillet.

Je jouais alors les jeunes filles, les jeunes princesses ou les jeunes garçons, mon corps menu, ma figure pâle, mon aspect maladif me vouant pour le moment aux victimes ; quand tout à coup Perrin, trouvant que les victimes attendrissaient le public, et pensant que c’était grâce à mon « emploi » que j’excitais la sympa-