Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/369

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souvent, quand je me plaignais : « Fais comme moi sois plus souple ; tu passes ton temps à te révolter ; moi, j’ai l’air de faire tout ce que veut Perrin, mais, en vérité, je lui fais faire tout ce que je veux. Essaie. »

Alors je prenais mon courage à deux mains, je montais chez Perrin. Presque toujours il me recevait par cette phrase : « Ah ! bonjour, Mademoiselle Révolte, êtes-vous calme, aujourd’hui ? — Oui, très calme. Mais soyez gentil, accordez-moi ce que je vous demande. » Et je faisais du charme, je prenais ma jolie voix. Il ronronnait, faisait de l’esprit (il en avait beaucoup) ; et on était très bien ensemble pendant un quart d’heure. Puis j’accouchais de ma demande : « Laissez-moi jouer Camille dans On ne badine pas avec l’amour. — Mais, c’est impossible, ma chère enfant. Croizette ne sera pas contente. — Je lui en ai parlé, ça lui est égal. — Vous avez eu tort de lui en parler. — Pourquoi ? — Parce que la distribution des rôles regarde l’administrateur et non les artistes. » Il ne ronronnait plus, il grognait ; moi, je rageais et, au bout d’un instant, je sortais en claquant les portes.

Mais je me minais. Je passais des nuits à pleurer. C’est alors que je pris un atelier pour faire de la sculpture. Ne pouvant dépenser au théâtre mes forces intelligentes et mon désir de créer, je les mis au service d’un autre art. Et je me mis à travailler la sculpture avec une ardeur folle. Je fis vite de grands progrès.

Le Théâtre m’était devenu indifférent. Je montais à cheval le matin à huit heures et, à dix heures, j’étais dans mon atelier de sculpture, boulevard de Clichy, n° 11. Ma santé très délicate se ressentit de ces doubles efforts. Je vomissais le sang d’une façon terrifiante et je restais des heures sans connaissance. Je n’allais plus