Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/389

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Puis, me regardant de tout près dans les yeux : « Voulez-vous tout d’même descendre ? — Mais oui, père Lucas, je veux descendre tout de suite. »

Mon petit garçon bâtissait des remparts, des forteresses, là-bas sur le sable, avec Félicie. Seul, Claude était avec moi. Il ne disait pas un mot, connaissant mon effréné désir du danger. Il regarda si la ceinture était bien accrochée et me demanda la permission de ficeler la patte au ceinturon ; puis il passa plusieurs fois un gros filin tout autour pour consolider le cuir ; et je descendis, suspendue par la corde, dans le noir de la crevasse. J’étendais les bras de droite, de gauche, ainsi que me l'avait prescrit le gardien et, quand même, je me cognais les coudes.

Au premier moment, je crus que le bruit que j’entendais était la résonance répercutée des coups de sabots sur les parois ; mais, soudain, un effroyable fracas envahit mon cerveau : des coups de canon successifs, des coups de fouet stridents, claquants, féroces, des hurlements plaintifs... et les « han » fatigués d’une centaine de matelots tirant une « seine » remplie de poissons, d’algues et de pierres. Tous ces bruits s’entrechoquaient sous la méchante poussée du vent.

Je devenais enragée de colère contre moi, car la peur m’avait saisie. Plus je descendais, plus le grondement hurleur devenait bourdonnant dans mes oreilles, dans mon cerveau ; et mon cœur battait la charge des lâches. Le vent s’engouffrait dans l’étroit tunnel et courait en sens divers autour de mes jambes, de mon torse, de mon cou. Le trac fou me prenait. Je descendais lentement, et je sentais, à chaque petite secousse, que les quatre mains qui me tenaient là-haut arrivaient à un