Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/390

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nœud. Je voulue me rappeler le nombre de nœuds, car il me semblait que je n’avançais pas. Alors j’ouvris la bouche pour crier : « Remontez-moi ! » Mais le vent, qui tournoyait en danse folle autour de moi, s’engouffra dans ma bouche anxieusement ouverte. Je faillis étouffer. Alors, je fermai les yeux et renonçai à lutter. Et je ne voulais même plus étendre les bras.

Quelques instants après, je relevai mes jambes dans un accès de terreur indéfinissable : la mer venait de les étreindre d’une caresse brutale qui les avait trempées. Cependant, je repris courage, car j’y voyais clair. Je détendis mes jambes qui se trouvaient d’aplomb sur la petite roche. C’est vrai qu’elle était glissante.

Je me cramponnai à un grand anneau fixé exprès dans la voûte qui surplombait la roche et je regardai. La crevasse longue et étroite s’élargissait tout à coup dans sa base et se terminait en une large grotte qui donnait sur la pleine mer ; mais l’entrée de cette grotte était défendue par une quantité de gros et petits rochers qui se perdaient à fleur d’eau, à une lieue en avant ; ce qui explique, et le bruit terrible de la mer déferlant dans le labyrinthe, et la possibilité de se tenir debout sur un caillou — comme disent les Bretons, — ayant autour de soi la danse éperdue des vagues.

Cependant, je me rendais bien compte qu’un faux pas pouvait être mortel dans le remous brutal des lames qui accouraient de loin avec une vitesse vertigineuse, se broyaient contre l’obstacle insurmontable, et choquaient, en se reculant devant l’obstacle, d’autres lames qui les suivaient. De là le jaillissement perpétuel de ces fusées d’eau qui s’engouffraient dans la crevasse sans danger de vous noyer.

La nuit commençait à venir et j’éprouvai une