Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hommes : Perrin et Dumas ; je lâchai tout dans une avalanche de phrases cinglantes, furieuses et sincères. Je lui remémorai ses promesses des premiers jours, sa visite à mon hôtel de l’avenue de Villiers, la façon lâche et sournoise dont il m’avait sacrifiée sur la demande de Perrin et sur les instances des amis de Sophie. .. Je parlai… je parlai… sans lui permettre de placer un mot.

Quand, épuisée, je dus m’arrêter, je murmurai haletante de fatigue : « Quoi ?… Quoi ?… Qu’avez-vous à répondre ?… — Ma chère enfant, fit-il d’une voix très émue, si j’avais fait mon examen de conscience, j’aurais dû me dire tout ce que vous venez de dire si éloquemment ! Maintenant, je dois avouer pour me disculper un peu, que je croyais que votre Théâtre vous était absolument indifférent ; que vous préfériez de beaucoup votre sculpture, votre peinture et votre cour. Nous avons rarement causé ensemble, et on m’a laissé croire tout ce que je croyais. Votre furieux chagrin m’intéresse beaucoup. La pièce gardera son titre primitif : L’Étrangère, je vous en donne ma parole ! Et maintenant, embrassez-moi bien fort pour me prouver que vous ne m’en voulez pas. »

Je l’embrassai. Et à partir de ce jour nous fûmes bons amis.

Je racontai le soir toute cette histoire à Croizette, et je vis qu’elle ne savait rien de la vilaine machination. J’en fus bien contente.

La pièce eut un énorme succès. Coquelin, Febvre et moi remportâmes les gros succès de la soirée.


Je venais de commencer, dans mon atelier du boulevard de Clichy, un grand groupe qui m’avait été ins-