Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/413

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Quand je lui montrai l’esquisse, elle resta hébétée : « Faudra que je montre mon cou et mon épaule ? J’pourrai jamais... » Je lui affirmai qu’il n’y avait jamais personne quand je travaillais. Et je lui demandai à voir son cou tout de suite.

Oh ! ce cou ! Je frappai les mains de joie en le découvrant. Il était long, délabré, terrible. Le sterno-cléido-mastoïdien ressortait en bataille, la pomme d’Adam menaçant de percer la peau. C’était admirable. J’approchai d’elle et découvris doucement son épaule. Oh ! quelle joie ! quelle ivresse ! L’os de l’épaule était visible sous l’épiderme, et sa clavicule surplombait un creux large et profond. Cette femme était le rêve !

Émue, je m’écriai : « Que c’est beau ! que c’est écrit ! C’est admirable ! » Et la géante rougissait. Je lui demandai à voir ses pieds, nus. Elle retira ses gros bas et laissa voir un pied malpropre, mais sans caractère, « Non, lui dis-je, merci. Madame, les pieds sont trop petits, je ne prendrai que la tête et l’épaule. »

Après avoir fait le prix avec elle, je la retins pour trois mois ! A l’idée qu’elle allait gagner tant d’argent pendant trois mois, la pauvre femme se prit à pleurer et me fit si grande pitié, que je lui assurai tout son hiver, afin qu’elle n’eût pas à se chercher de l’ouvrage cet hiver-là, puisqu’elle m’avait déjà raconté qu’elle passait six mois au pays, dans la Sologne, chez ses petits-enfants.

Ma « grand’mère » trouvée, il me fallait un enfant, Je vis alors défiler toute la bande de petits Italiens modèles de profession. Il y avait des enfants admirables, de véritables petits Jupins. En une seconde, la mère déshabillait le bambin, qui prenait toutes les poses favorables au développement de ses muscles et de son