Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/425

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une grosse responsabilité. Le rendez-vous fut pris pour le mardi prochain, juste huit jours après. Je le priai de n’en rien dire, car, si les journaux s’emparaient de cette nouvelle, ma famille terrifiée ne me laisserait pas monter.

M. Tissandier, qui devait quelque temps après, le pauvre, s’écraser dans une chute aérienne, me promit de m’accompagner, mais un empêchement me priva de son aimable présence. Et ce fut le jeune Godard qui, huit jours après, montait avec moi dans le Doña Sol, joli ballon orange préparé spécialement pour mon voyage.

Le prince Napoléon, qui était avec moi quand Giffard me fut présenté, avait insisté pour être du voyage ; mais il était lourd, un peu maladroit, et je ne prenais pas plaisir à sa conversation, malgré son merveilleux esprit, car il était méchant et tapait volontiers sur l’empereur Napoléon III que j’aimais beaucoup.

Nous partîmes seuls : Georges Clairin, Godard et moi. Le bruit s’en était quand même répandu, mais trop tard pour que la presse s’en emparât.

J’étais dans les airs depuis cinq minutes quand un de mes amis, le comte de Montesquieu, croisa Perrin sur le pont des Saints-Pères : « Tenez, dit-il, regardez dans le ciel… Voilà votre étoile qui file ! » Perrin leva la tête, et montrant le ballon qui s’élevait : « Qui est là-dedans ?

— Sarah Bernhardt ! » Il paraît que Perrin devint pourpre et, serrant les dents, il murmura : « Encore un de ses tours ! Mais celui-là, elle le paiera ! » Et il s’éloigna vivement, sans même saluer mon jeune ami, qui resta stupéfait de cette colère sans raison. Et s’il avait soupçonné ma joie infinie de voyager ainsi dans l’air, Perrin eût souffert davantage.