Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/465

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Il savait très bien, le brave Johnson, que j’étais très malade ; il était venu chez moi, il avait vu le docteur Parrot, il savait que j’avais joué malgré la Faculté, et pour sauver la recette de la Comédie. Mais le public anglais m’avait témoigné une telle sympathie, que la Comédie s’en était un peu émue, et Le Figaro, étant l’organe du Théâtre-Français, avait prié Johnson de modérer ses éloges à mon égard ; ainsi fit-il tout le temps de notre séjour à Londres.

Si j’ai tenu à raconter ce menu fait de mon oubli qui n’a en lui-même aucune importance, c’est pour prouver à quel point les auteurs ont tort de se préoccuper d’expliquer les personnages. Il est certain qu’Alexandre Dumas a tenu à démontrer le pourquoi des agissements bizarres de Mistress Clarkson. Il a créé un personnage intéressant, vibrant, dans l’action, et tout de suite révélé au public au premier acte, dans les quelques lignes que Mistress Clarkson dit à Mme de Septmonts : « Je serais très heureuse. Madame, si vous vouliez bien me rendre visite. Nous parlerions d’un de nos amis, M. Gérard, que j’aime peut-être autant que vous l’aimez, bien qu’il ne m’aime peut-être pas autant qu’il vous aime. »

Cela suffisait pour intéresser le public à ces deux femmes. C’était l’éternelle lutte du bien et du mal. Le combat entre le Vice et la Vertu. Mais cela semblait un peu bourgeois à Dumas, un peu vieux jeu, et il a voulu rajeunir le vieux thème, en essayant d’orchestrer l’orgue et le banjo, et il a obtenu une cacophonie épouvantable. Il a fait une pièce folle qui eût pu être belle, car l’originalité de son style, la loyauté de ses idées et la brutalité de sont humeur suffisaient à rajeunir de vieilles idées, lesquelles sont du reste la base