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rendez-vous à partir de une heure. Il en viendra un nouveau toutes les dix minutes. »

Je le regardai, pétrifiée. Il soutint mon regard anxieux et me dit : « Oh ! yes, il était nécessaire ! »


En arrivant à Albemarle Hôtel, j’étais fatiguée, et en grand besoin de solitude.

Je courus m’enfermer dans une chambre de l’appartement arrêté pour moi. Je fermai toutes les portes. Une seule n’avait ni verrou ni clef ; je poussai un meuble contre elle. Et je refusai énergiquement d’ouvrir.

Il y avait dans le salon une cinquantaine de personnes ; mais j’avais cette lassitude effroyable qui, pour obtenir une heure de repos, vous porterait aux extrêmes les plus violents.

Je voulais, les bras en croix, la tête en arrière, les yeux clos, m’étendre sur des tapis. Je voulais ne plus parler, ne plus sourire, ne plus regarder.

Je me jetai à terre et je restai muette aux coups frappés à ma porte, aux supplications de Jarrett. Je ne voulais pas entrer en discussion. Je ne répondis pas un mot.

J’entendais le bourdonnement grondeur des visiteurs et les paroles sournoises de Jarrett pour les retenir. J’entendis le bruissement d’un papier passé sous la porte, puis le chuchotement de Mme Guérard. Elle répondait à Jarrett furieux : « Vous ne la connaissez pas. Monsieur Jarrett. Si on faisait mine de forcer la porte contre laquelle est poussé le meuble, elle sauterait par la fenêtre. — Non ! Madame, disait Félicie à une Française qui insistait, c’est impossible ! Madame aurait une crise de nerfs terrible ! Elle a besoin d’une heure de repos. Eh bien, qu’on attende ! »