Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/552

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Je me précipitai pour sauver mes pauvres robes de ce viol outrageant ; et je donnai l’ordre à notre costumière de sortir une à une toutes mes robes, ce qu’elle fit avec l’aide de ma femme de chambre qui pleurait en voyant le peu de respect de ces rustres pour tous ces objets de grâce et de fragilité.

Deux dames venaient d’arriver, bruyantes et affairées. L’une était grosse, courte, le nez prenant racine à la naissance des cheveux, les yeux ronds et placides, la bouche avançant en mufle ; les bras se cachaient avec timidité derrière sa lourde et molle poitrine, et ses genoux indiscrets sortaient directement de l’aine ; on eût dit d’une vache assise.

L’autre ressemblait à une terrapine ; sa petite tête noire et méchante se tendait au bout d’un cou trop long, très cordé, qu’elle rentrait ou sortait de son boa avec une rapidité incroyable ; le reste de son corps était bombé… à plat…

Ces deux délicieuses personnes étaient les couturières requises par la douane pour estimer nos costumes. Elles me jetèrent un regard fuyant, esquissant un petit salut plein de fiel et de rage jalouse à la vue de mes robes ; et je compris facilement que deux ennemis de plus venaient d’entrer dans la place.

Ces deux odieuses pies-grièches se mirent à jaboter, à discuter, à patouiller et à tripatouiller mes robes, mes manteaux.

Elles poussaient des cris d’admiration pleins d’emphase : « Oh ! que c’est beau ! Oh ! quelle magnificence ! Quel luxe ! Toutes nos clientes vont vouloir des robes comme ça ! Nous ne pourrons jamais les leur faire ! Cela va nous ruiner, nous, pauvres couturières américaines !!!… »