Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Monsieur***, à qui appartiennent ces bibelots, veut que vous les ayez sous les yeux tout le temps de votre séjour ici, Mademoiselle, et quand je lui ai exprimé la crainte dont vous me faites part, vous aussi, il m’a répondu que ça lui était égal ! » Quant aux tableaux, ils appartenaient à deux riches propriétaires de Boston. Il y avait un Millet superbe, que j’eusse bien voulu posséder.

Après avoir remercié, admiré ces merveilles, je demandai l’explication de l’histoire de la baleine ; et M. Max Gordon, le père de la fillette, me translata les paroles du petit homme au bonnet fourré. Il était possesseur de plusieurs bateaux péchant la morue à son profit. Un de ces bateaux avait capturé une énorme baleine portant deux harpons dans ses flancs. La malheureuse bête, épuisée, se débattait à plusieurs milles de la côte et fut facilement prise et amenée triomphalement au propriétaire des bateaux, Henri Smith.

Par quel tour d’esprit, par quel acheminement cérébral cet homme arriva-t-il à considérer sa baleine et mon nom comme une source de fortune ? Je ne sais. Mais toujours est-il qu’il insista si drôlement, si autoritairement, si violemment, que nous fûmes cinquante personnes, le lendemain, à sept heures du matin, nous rendant sous une pluie glaciale au bassin du quai. M. Gordon avait fait atteler son mail-coach de quatre chevaux de toute beauté. Il conduisait lui-même.

Sa fillette, Jarrett, ma sœur, Mme Guérard, et une autre dame âgée dont je ne me rappelle pas le nom, prirent place avec nous. Sept autres voitures suivaient. C’était très, très amusant.

Nous fûmes reçus à notre arrivée au quai par le comique Henri, poilu cette fois de la tête aux pieds, les