Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/577

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grandissant de seconde en seconde, me tint l’oreille au guet. Ce bruit se fit bientôt musique ; et c’est dans un formidable « Hurrah ! Vive la France ! » poussé par dix mille poitrines, soutenues par un orchestre jouant La Marseillaise d’une furia endiablée, que nous fîmes notre entrée à Montréal.

L’endroit où s’arrêtait le train à cette époque était très resserré. Un talus assez haut servait de rempart au léger trottoir de la gare.

Debout sur la petite plate-forme de mon car, je regardais, émotionnée, l’étrange spectacle que j’avais devant moi : le talus était hérissé d’ours tenant des lanternes. Il y en avait des centaines et des centaines. Dans l’espace étroit entre le talus et le train arrêté, il y en avait encore de ces ours, des grands, des petits... et je me demandais avec terreur comment j’allais faire pour rejoindre mon traîneau.

Jarrett et Abbey firent écarter la foule et je descendis. Mais un député, dont je ne puis déchiffrer le nom dans mes notes (quelle louange à mon écriture !), s’avança vers moi et me remit une adresse signée des notables de la ville.

Je remerciai de mon mieux, et je pris le magnifique bouquet qui me fut présenté au nom des signataires de l’adresse. Quand je portai les fleurs à mon visage pour les respirer, je me blessai légèrement à leurs jolis pétales durcis par l’air glacial. Cependant, je commençais moi-même à me sentir les jambes et les bras gourds. Le froid m’envahissait tout entière.

Cette nuit-là fut, paraît-il, une des plus froides qu’on eût connue depuis de longues années.

Les femmes qui étaient venues pour assister à l’ar-