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rivée de la Compagnie française avaient dû se retirer dans l’intérieur de la gare, sauf Mme Jos. Doutro, qui me remit un bouquet de fleurs rares et me donna l’accolade.

Il y avait vingt-deux degrés au-dessous de zéro. Je murmurai tout bas à Jarrett : « Continuons notre route, je me sens devenir glaçon. Dans dix minutes je ne pourrai plus faire un pas. » Jarrett répéta ces mots à Abbey, qui s’adressa au chef de police. Ce dernier donna des ordres en anglais, pendant qu’un autre chef de police les répétait en français. Et nous pûmes faire quelques mètres. Mais la gare était encore loin. La foule grossissait, et à un moment donné je me sentis défaillir. Je repris cependant courage, me tenant, ou plutôt me cramponnant aux bras de Jarrett et d’Abbey. Je pensais à chaque minute tomber, car le trottoir était tel un miroir.

Cependant, force nous fut d’arrêter notre marche. Une centaine de falots levés par cent mains d’étudiants nous éclairèrent brusquement. Un grand jeune homme se détacha du groupe et vint droit à moi, tenant un large papier déroulé. Et il s’écria d’une voix claire :


A SARAH BERNHARDT

Salut, Sarah ! salut charmante doña Sol !
Lorsque ton pied mignon vient fouler notre sol,
____Notre sol tout couvert de givre,
Est-ce un frisson d’orgueil ou d’amour ? je ne sais ;
Mais nous sentons courir dans notre sang français
____Quelque chose qui nous enivre !

Femme vaillante au cœur saturé d’idéal,
Puisque tu n’as pas craint notre ciel boréal,